1. Introduction

‘Lorsqu’un organe d’un État est mis à la disposition d’une organisation internationale, cet organe peut être entièrement détaché auprès de cette organisation. Dans ce cas, le comportement de l’organe serait à l’évidence attribuable à l’organisation d’accueil seulement. Il en irait de même lorsqu’un organe ou un agent d’une organisation internationale est entièrement détaché auprès d’une autre organisation. En pareils cas, la règle générale énoncée à l’article 6[1] serait d’application. L’article 7[2] vise une situation différente, où l’organe ou l’agent détaché agit encore dans une certaine mesure en qualité d’organe de l’État de détachement ou en qualité d’organe ou d’agent de l’organisation de détachement. C’est ce qui se produit, par exemple, dans le cas des contingents militaires qu’un État met à la disposition de l’Organisation des Nations Unies pour une opération de maintien de la paix, puisque l’État conserve ses pouvoirs disciplinaires et sa compétence pénale à l’endroit des membres du contingent national. Dans cette situation se pose la question de savoir si un comportement précis de l’organe ou de l’agent détaché doit être attribué à l’organisation d’accueil ou à l’organisation ou l’État d’envoi.’[3]

Voilà comment est présentée par la CDI, dans ses commentaires aux Articles sur la responsabilité des organisations internationales (dorénavant AROI), la question formant l’objet central des jugements de première (2008),[4] de seconde (2010)[5] et de troisième instance (2013)[6] intervenus aux Pays-Bas, qui concerne justement l’attribution aux Nations Unies ou/et aux Pays-Bas de comportements du contingent néerlandais (Dutchbat) de la FORPRONU en relation avec le massacre de Srebrenica: comportements ayant consisté dans l’éloignement de la base de Dutchbat à Srebrenica d’un employé local ou de familiers d’un autre, cela ayant entrainé leur assassinat par les forces armées ou par des paramilitaires de la Republika Srpska, dans le cadre du génocide de 1995. Le juge hollandais, en effet, avait à répondre à la question de savoir si, oui ou non, la responsabilité de l’État pouvait bien être mise en cause par les victimes (ou leurs ayant droit) devant ses juridictions, ou bien si – du fait que les comportement de quo seraient à attribuer exclusivement aux N.U. – ‘the State cannot be held responsible for any breach of contract or wrongful act committed by Dutchbat’. Il va de soi que dans ce second cas la saisine d’une quelconque juridiction nationale serait empêchée par l’immunité juridictionnelle que l’O.N.U. invoquerait,[7] alors que l’immunité juridictionnelle de l’État (que prévoit le droit international) ne serait pas de mise lorsqu’il s’agit de saisir le juge interne afin de faire valoir la responsabilité de l’État du for.

2. Le jugement du Tribunal de première instance de la Haye (2008)

Dans le jugement de première instance le tribunal, en appliquant ‘par analogie’ les principes des Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (dorénavant AREFII) – l’AROI finalisé n’étant pas encore disponible en 2008 – avait exclu l’attribution des faits en question aux Pays-Bas, État d’envoi, en considérant que seule l’attribution aux N.U. était à retenir en l’espèce. Le raisonnement est le suivant:

‘4.10 If a public body of state A or (another) person or entity with public status (according to the law of state A) is made available to state B in order to implement aspects of the authoritative power of state B, then the actions of that body, person or entity are considered as actions of state B. This rule, considered international common law, is part of the articles accepted by the International Law Commission (ILC) under the auspices of the United Nations concerning the liability of states. According to this rule the attribution should concern acting with the consent, on the authority and ‘under direction and control’ of the other state and for its purposes. This rule of attribution also applies to the armed forces deployed by a state in order to assist another state, provided that they are placed under the ‘command and control’ of that other state. In accordance with the existing international practice and the ‘draft articles’ of the ILC concerning the liability of international organizations, the court applies this rule by means of analogy to the attribution of the actions of armed forces made available by states to the United Nations’.

Et la Cour de continuer: ‘4.11 In view of the exclusive responsibility of the UN Security Council for maintaining international peace and security, participation in a UN peacekeeping operation on the basis of chapter VII of the Charter implies that the ‘operational command and control’ over the troops made available is transferred to the UN’. D’où, en synthèse, le propos final (sur ce point): ‘4.13 To the conclusion that the reprehended acts of Dutchbat should be assessed as those of an UNPROFOR contingent the court attaches the conclusion …. that these acts and omissions should be attributed strictly, as a matter of principle, to the United Nations’, et non pas à l’État, dont la responsabilité ne saurait donc être envisagée.

Notons-le aussitôt: dans le raisonnement du juge l’attribution à l’ONU (exclusivement) des comportements du Dutchbat dépend du fait que Dutchbat était placé sous commandement onusien et n’est pas du tout tributaire de la démonstration que les NU exerçaient à l’époque un ‘contrôle effectif’ portant spécifiquement sur les comportements en cause du contingent néerlandais de la FORPRONU: un critère, celui du ‘contrôle effectif sur le comportement’ spécifique, que la CDI n’avait pas encore ‘pondu’, comme on le rappellera sous peu. L’attribution dépend du fait que l’État en question (dans la logique de l’Article 6 AREFII) avait mis son contingent ‘à la disposition’ de l’ONU en acceptant qu’il fut assujetti au commandement et au contrôle de l’Organisation: les casques bleus néerlandais étaient partant devenus des organes (subsidiaires) ou agents des N.U., leurs comportements étant alors de ce fait même toujours imputables à celles-ci (dans la logique – cette fois – des Articles 4 et 5 AREFII), et ce même en cas d’excès de pouvoir ou de violation des instructions reçues (Article 7 AREFII, qui sera ensuite repris mutatis mutandis à l’Article 8 AROI). Le Tribunal note, en effet, que ‘(t)he consequence of attribution to the United Nations is that even gross negligence or serious failure of supervision on the part of the forces made available to the UN must in principle be attributed exclusively to this organization (4.15)’. Cela correspond d’ailleurs en plein à la position officielle affichée par les N.U., dont le Secrétariat rappelle que la responsabilité de l’Organisation lors de dommages causés par ces organes subsidiaires des N.U. que sont les forces de maintien de la paix (FMP) subsiste ‘même dans les cas ….où la structure de commandement et le contrôle des N.U. avait disparu’,[8] la condition du ‘contrôle effectif’ n’apparaissant de toute évidence nullement pertinente pour ce genre de situations.[9]

Il est à noter que dans le paragraphe suivant de l’arrêt (4.16.1) le Tribunal formule (sans se contredire, nous semble-t-il) une hypothèse de non attribution des faits de la FMP à l’ONU, dont par ailleurs il exclura la récurrence en l’espèce: celle qui pourrait se produire lorsque la relation organique avec l’O.N.U. est – pour ainsi dire – carrément rompue, ou tout au moins interrompue. L’hypothèse en question est formulée dans les termes suivants: ‘(t)he court will now address the question whether the State cut across the United Nations command structure. If Dutchbat was instructed by the Dutch authorities to ignore UN orders or to go against them, and Dutchbat behaved in accordance with this instruction from the Netherlands, this constitutes a violation of the factual basis on which the attribution to the UN rests. This then creates scope for attribution to the State. The same is true if Dutchbat to a greater or lesser extent backed out of the structure of UN command, with the agreement of those in charge in the Netherlands, and considered or shown themselves as exclusively under the command of the competent authorities of the Netherlands for that part’. Ici on ne serait pas confronté à une situation de défaillance du commandement onusien, mais à une sorte de véritable retrait (provisoire, le cas échéant) par l’État d’envoi de la mise à la disposition et sous le commandement des N.U. du contingent national: en pareille hypothèse il est logique de considérer que les comportements de la FMP seraient imputables à l’État national seul et ne sauraient plus l’être aux N.U.

Il reste toutefois à se demander si vraiment la question est à poser en termes de stricte alternative, comme le prétend le tribunal dans cet arrêt: ou l’un ou l’autre. Autrement dit, est-ce vraiment inévitable que, là où la responsabilité de l’O.N.U. est correctement invoquée, le comportement de la FMP devant être sans aucun doute attribué à l’Organisation, celle de l’État d’envoi serait nécessairement à exclure, et vice-versa? La double attribution du même comportement est-elle inconcevable[10] dans ce genre de situations? La Cour d’appel et la Cour suprême vont raisonner à ce sujet de manière différente (se rapprochant à bien des égards de ce que j’avais préconisé il y a quelques vingt ans).[11]

3. Les jugements de la Cour d’appel de La Haye (2010) et de la Cour suprême des Pays-Bas (2013)

‘In international law literature, as also in the work of the ILC, the generally accepted opinion is that if a State places troops at the disposal of the UN for the execution of a peacekeeping mission, the question as to whom a specific conduct of such troops should be attributed, depends on the question which of both parties has ‘effective control’ over the relevant conduct.’ Ainsi s’exprime au paragraphe 5.8 de l’arrêt la Cour d’appel, qui a à l’esprit (et cite in extenso) l’Article 7 AROI[12] (lequel – on le sait – était numéroté 6 dans la finalisation de 2009 du Projet de la CDI sur la responsabilité des organisations internationales): un article dont la Cour – comme on vient de le souligner – n’hésite pas à prétendre qu’il exprimerait ‘the generally accepted opinion’, en somme le droit international en vigueur. De là la question décisive à résoudre: l’État hollandais avait-il ou non le contrôle effectif sur les comportements en cause de Dutchbat?

Il faut bien souligner la remarque – méthodologique, pour ainsi dire – suivante de la Cour d’appel (5.9): ‘…the Court adopts as a starting point that the possibility that more than one party has ‘effective control’ is generally accepted, which means that it cannot be ruled out that the application of this criterion results in the possibility of attribution to more than one party. For this reason the Court will only examine if the State exercised ‘effective control’ over the alleged conduct and will not answer the question whether the UN also had ‘effective control’’. Ayant donc vérifié ensuite,à la lumière de toutes les circonstances de l’affaire, que Dutchbat avait bien agi sous le contrôle effectif de l’État hollandais lors des comportements en question, la Cour d’appel parvient à la conclusion que l’État hollandais, ‘liable for the conduct of the Dutchbat members’, a agi illégalement, cette conduite illégale de l’État pouvant alors être contrôlée et sanctionnée par le juge national. En 2013 la Cour suprême confirmera pleinement le bien-fondé de cette décision, en soulignant l’exactitude de toutes les articulations du raisonnement qui la soutient.

Il faut dire que la Cour d’appel est sans doute allée bien vite en besogne quand elle a affiché la conviction que la possibilité – parfaitement soutenable à mon sens, et partagée ensuite par la Cour suprême – d’une double attribution (aux N.U. et à l’État d’envoi) des agissements des FMP serait ‘generally accepted’, alors qu’en vérité rares sont les auteurs qui l’admettent,[13] comme c’est, et de longue date, [14] mon cas. Beaucoup plus imprudente, voire carrément erronée, est en revanche l’affirmation de la Cour d’appel d’après laquelle la ‘generally accepted opinion’ serait que, afin de décider si les comportements des FMP sont à imputer aux N.U. où à l’État d’envoi, il faudrait vérifier qui des deux a exercé un contrôle effectif sur le comportement spécifique en cause. Il en va tout autrement en réalité: ainsi qu’il est souligné apertis verbis du côté onusien,[15] l’introduction du critère du ‘contrôle effectif’, afin de départager les responsabilités de l’O.N.U. de celles de l’État d’envoi pour les comportements des FMP, représente une ‘proposition’ de la CDI: une nouveauté, en somme. En effet ce critère, tel que couché dans l’Article 7 AROI, ne correspond pas à la pratique ‘de longue date’ de l’O.N.U. et – on le sait – ‘n’a jamais été invoqué pour déterminer le partage des responsabilités à raison de dommages causés lors de toute opération entre l’ONU et tout État fournisseur de contingents.’[16] La pratique bien établie traduit en revanche – répétons le – l’application du principe de la responsabilité de l’Organisation pour toute l’action des forces de maintien de la paix sous commandement onusien, et d’ailleurs ‘ne semble pas devoir être remise en cause’.[17]

En somme, il n’y a aucune raison de douter quant à la vigueur persistante du principe suivant lequel les agissements des FMP, organes (subsidiaires) des N.U., sont en règle générale toujours imputables à l’Organisation, et en déclenchent le cas échéant la responsabilité, sans qu’il y ait besoin de prouver l’exercice par les N.U. d’un ‘contrôle effectif’ sur chaque agissement à attribuer. Mais affirmer ceci ne comporte d’aucune façon que l’on doive exclure la possibilité de considérer les agissements en question comme attribuables également à l’État d’envoi. Autrement dit, la Cour d’appel et la Cour suprême n’ont nullement raisonné de façon hérétique quand elles ont envisagé que les comportements de Dutchbat, même s’ils sont à qualifier comme des faits de l’O.N.U., peuvent également être attribués aux Pays-Bas, et ont conclu qu’en l’espèce ils doivent l’être, au vu de la constatation que l’État avait précisément exercé un contrôle effectif sur les comportements en cause de Dutchbat.

4. Quand des comportements de la FMP imputables aux N.U. sont à attribuer également à l’État d’envoi?

Doit-on suggérer alors que le critère du ‘contrôle effectif sur les comportements spécifiques’, prévu à l’Article 7 AROI, n’aurait en fait aucun rôle à jouer pour ce qui est de l’attribution aux N.U. des agissements des FMP, alors qu’il serait par contre pertinent pour décider lesquels parmi ces agissements, tout en étant imputables à l’Organisation, sont à attribuer aussi à l’État d’envoi? Autrement dit, le principe de l’Article 7 AROI est-il à utiliser, non pas pour départager les responsabilités des N.U. de celles de l’État national engendrées par les comportements des FMP, mais exclusivement afin de juger lesquels, parmi les comportements de la FMP tous imputables à l’O.N.U., le sont en même temps à l’État?

A mon avis, si l’on reconnait en appliquant ce critère que tel ou tel comportement de FMP est à imputer à l’État d’envoi puisqu’il a été effectivement adopté sous le contrôle direct de ses autorités (qui l’ont par exemple précisément ordonné, prescrit, autorisé, etc.), on ne fait assurément pas fausse route. Je veux dire par là que dans des cas de ce genre (au nombre desquels semblent bien rentrer les affaires traitées dans les arrêts néerlandais commentés) on ne saurait mettre en discussion le bien-fondé de l’attribution des faits à l’État, avec toutes les conséquences qui en découlent pour ce qui est de l’engagement de sa responsabilité internationale: une responsabilité d’État qui ne serait certes pas rayée du seul fait de la responsabilité simultanée de l’O.N.U. pour les mêmes faits.

Celle-ci est cependant, il faut le souligner, une approche minimaliste. Une approche différente, que l’on voudra sans doute qualifier de maximaliste, peut cependant être adoptée (voire maintenue, en ce qui me concerne):[18] c’est qu’il est parfaitement justifié à mon sens de soutenir que l’ensemble des activités des FMP sont à qualifier de ‘faits de l’État’ d’envoi, et partant idoines à déclencher sa responsabilité internationale. Je rappelle synthétiquement les éléments fondamentaux à la base de cette thèse.

L’accord ad hoc passé par l’État participant à la FMP et l’O.N.U. met sans aucun doute le contingent national à la disposition et sous le commandement de l’Organisation et le fait devenir un organe de celle-ci, mais ne le soustrait pas pour autant à l’emprise de l’État concerné. En effet, au moment même où – du fait d’être membres d’une FMP – ils agissent en tant qu’agents des N.U., les casques bleus sont et restent à tous les effets des organes des États d’envoi. Leur lien organique avec l’État national n’est nullement coupé ou mis en sommeil pendant la durée de leur engagement au service de l’O.N.U.: ils ne sont pas livrés à l’Organisation et soustraits à l’emprise de leur État. Les casques bleus sont, pour ainsi dire, des ‘agents doubles’, en ce sens qu’en eux cohabite un double rattachement, un double statut d’organe. Le fait d’être placé ‘under the authority’ des N.U. n’empêche pas le personnel des FMP de demeurer également ‘under the authority’ de son État, à la direction, au contrôle et à la hiérarchie duquel il reste pleinement soumis.

En effet, il est vrai que chaque État fournisseur, du fait même d’avoir accepté de contribuer à la FMP par un contingent national, accepte aussi que le ‘commandement stratégique’ et ‘opérationnel’ de la Force relève de la compétence des N.U. et soit exercé, à travers la chaîne de commandement, par le Conseil de Sécurité, par le Secrétaire Général et par le Commandant de chaque FMP. Les États fournisseurs sont donc engagés à ce que les ordres du Commandant de la Force adressés au Commandant de chaque contingent national soient répercutés par celui-ci à ses hommes. Cependant, tout le contingent ne manque pas de rester pour autant un organe militaire de l’État d’appartenance assujetti à l’autorité de celui-ci. En somme, la mise à la disposition des N.U. du contingent national par l’État d’envoi n’est pas du tout une sorte d’acte initial duquel découlerait que le contingent en question est, pour ainsi dire, abandonné aux mains des N.U., avec coupure du lien avec l’État fournisseur: c’est un acte continu par lequel l’État, sans nullement se dessaisir de ses hommes, les utilise en leur commandant (normalement) de faire ce que commande l’Organisation.

Or le double statut organique du personnel d’une FMP doit comporter en principe une double attribution, puisque lorsqu’il accomplit les actes relevant de sa mission onusienne ce personnel revêt bien la qualité d’organe ou agent tant de l’Organisation que de son État national et agit en tant que tel.

5.   Quelles les implications de la double attribution?

Diverses sortes d’implications sont à tirer, si l’on admet que des comportements de FMP peuvent être attribués en même temps aux N.U. et à l’État d’envoi, que ce soit dans le cadre d’une approche minimaliste ou maximaliste. La plus significative et évidente est que, si le comportement en question constitue une infraction, tant l’Organisation que l’État seront à considérer comme les auteurs d’un fait illicite engageant leur responsabilité, avec toutes les conséquences qui en découlent.

Quant aux voies, aux moyens et aux méthodes à suivre pour mettre en œuvre cette responsabilité, ils seront bien évidemment différents en ce qui concerne l’O.N.U. et l’État. Il importe maintenant de rappeler ce qu’on a remarqué dès le début: à savoir que la voie des tribunaux nationaux ne pourrait certes pas être utilisée, en principe,[19] afin de faire valoir la responsabilité de l’ONU pour les violations commises par des FMP, à cause de l’immunité que l’Organisation invoquerait.[20] En revanche, s’agissant de la responsabilité de l’État auquel des comportements illicites de FMP sont également attribuables, la saisine du juge interne de cet État (qui ne rencontrerait pas l’obstacle de l’immunité juridictionnelle des États) est possible, ainsi que le démontre la jurisprudence néerlandaise commentée. Cette même jurisprudence démontre aussi qu’aucun empêchement ne serait engendré pour le juge du fait de la responsabilité concomitante pesant sur les N.U. pour les mêmes comportements.

Dernière observation, à formuler en songeant spécialement aux contentieux des droits de l’homme. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme stipulant que des comportements d’organes d’États participants à des FMP (voire agissant sur délégation d’organes des N.U.) doivent être considérés comme imputables à l’Organisation,[21] ce qui comporterait qu’il n’y aurait pas à poser le problème de savoir si de tels comportements violent ou non les obligations pesant sur les États en matière de droits de l’homme, ne se justifie pas tant qu’il n’a pas été exclu que les comportements en question sont aussi attribuables aux États, ayant été accomplis par des personnes qui sont (aussi) des organes en exercice de ces États.

[1] AROI, art 6.‘Comportement des organes ou des agents d’une organisation internationale

1. Le comportement d’un organe ou agent d’une organisation internationale dans l’exercice des fonctions de cet organe ou agent est considéré comme un fait de cette organisation d’après le droit international, quelle que soit la position de l’organe ou agent dans l’organisation.

2. Les règles de l’organisation s’appliquent pour déterminer les fonctions de ses organes et agents.’

[2] AROI, art 7 ‘Comportement des organes d’un État ou des organes ou agents d’une organisation internationale mis à la disposition d’une autre organisation internationale

Le comportement d’un organe d’un État ou d’un organe ou agent d’une organisation internationale mis à la disposition d’une autre organisation internationale est considéré comme un fait de cette dernière d’après le droit international pour autant qu’elle exerce un contrôle effectif sur ce comportement.’

[3] Projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales et commentaires y relatifs 2011, p. 21, par. 1.

[4]  Tribunal de grande instance de La Haye (Jugement du 10 septembre 2008, affaire no 265615/HA ZA 06-1671) concernant l’attribution du comportement du contingent néerlandais de la FORPRONU en relation avec le massacre de Srebrenica. Ce jugement ne comportait qu’une référence d’ordre général aux articles de la CDI de 2001.

[5] Cour d’Appel de La Haye, Jugement du 5 juillet 2011, <http://zoeken.rechtspraak.nl>.

[6] Cour Suprême des Pays-Bas, Jugement du 6 décembre 2013, affaire no 12/03324 LZ/TT. Pour les indications détaillées de l’ensemble de la jurisprudence néerlandaise sur les affaires en questions, et pour la documentation s’y rapportant, voir <www.internationalcrimesdatabase.org/SearchResults/?q=nuhanovic+mustafic+netherlands&a=1> (consulté le 15 avril 2014).

[7] Voir en ce sens la jurisprudence néerlandaise Mothers of Srebrenica v. Netherlands and the United Nations (Neth App Ct), 30 March 2010, (2010) 49 ILM 1021; Mothers of Srebrenica Association et Al. v. The Netherlands (Sup Ct of the Neth), 13 April 2012, (2012) 51 ILM 1327. Quant à la CEDH sur l’immunité des N.U., Stichting Mothers of Srebrenica and others v The Netherlands, App no 65542/12 (ECHR, Decision on admissibility, 11 June 2013). Pour un panorama de la jurisprudence nationale et internationale se rapportant au génocide de Srebrenica, voir Sentinelle, bulletin 13/04/2014, <www.sentinelle-droit-international.fr/bulletins/a2014/20140413_bull_387/bulletin_ sentinelle_387.php#749>, ‘Massacre de Srebrenica: les  “mères de Srebrenica” saisissent à nouveau la justice néerlandaise’.

[8] Comme le souligne le Secrétariat des N.U. dans sa réponse du 14 février 2011 faisant état des commentaires et observations de l’O.N.U. sur le projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales adopté en première lecture par la CDI en 2009, ‘… l’ONU considère de longue date que les forces mises à sa disposition sont ‘transformées’ en organe subsidiaire de l’ONU et, par suite, sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’Organisation, comme tout autre organe subsidiaire – que le contrôle exercé sur tous les aspects de l’opération soit, en fait, ‘effectif’ ou non. Ainsi, dans la pratique de l’ONU, le critère du ‘contrôle effectif’ au sens du projet d’article 6 (qui – note ajoutée par le présent auteur – deviendra plus tard l’article 7 AROI) n’a jamais été invoqué pour déterminer le partage des responsabilités à raison de dommages causés lors de toute opération entre l’ONU et tout État fournisseur de contingents. Cette solution continue de trouver application, même dans les cas – comme l’ONUSOM II en Somalie – où la structure de commandement et de contrôle des Nations Unies avait disparu’: UN Doc A/CN.4/637/Add.1(2011), p. 14, par. 3.

[9] C’est en effet dans des situations bien différentes par rapport à celle en discussion que le ‘contrôle effectif’ joue un rôle, en matière d’attribution. Il convient de laisser de côté ici les cas où les comportements d’individus ou groupes (qui ne sont ni ne deviennent d’aucune façon des ‘organes’) sont imputés à un État du fait d’avoir été accomplis sur les instructions ou les directives ou sous (justement… !) le contrôle de cet État (Article 8 AREFII): des cas qui de toute évidence n’ont rien à voir avec celui des FMP, où ces organes des États d’envoi que sont les contingents nationaux sont ‘transformés’ en organes de l’ONU et où l’attribution dépend donc de la relation organique (dans la logique des Articles 4 et 5 AREFII, reproduite par la suite dans l’Article 6 AROI, mais non pas dans la logique ‘déviante’ de l’Article 7 AROI), et non du contrôle effectif quant aux comportements en question. Il y a en revanche d’autres types de situations se rapprochant davantage de celle des FMP qu’il convient d’évoquer à l’aide d’un propos souvent cité figurant dans un Rapport bien connu du Secrétaire général, A/51/389 (20 Septembre 1996), par. 17 et 18:

‘17. The international responsibility of the United Nations for combat-related activities of the United Nations forces is premised on the assumption that the operation in question is under the exclusive command and control of the United Nations. Where a Chapter VII-authorized operation is conducted under national command and control, international responsibility for the activities of the force is vested in the state or states conducting the operation. The determination of responsibility becomes particularly difficult, however, in cases where a state or states provide the United Nations with forces in support of a United Nations operation but not necessarily as an integral part thereof, and where operational command and control is unified or coordinated. This was the case in Somalia where the Quick Reaction Force and the US Rangers were provided in support of the United Nations Operation in Somalia (UNOSOM II), and this was also the case in the former Yugoslavia where the Rapid Reaction Force was provided in support of the United Nations Protection Force (UNPROFOR).

18. In joint operations, international responsibility for the conduct of the troops lies where operational command and control is vested according to the arrangements establishing the modalities of cooperation between the state or states providing the troops and the United Nations. In the absence of formal arrangements between the United Nations and the state or states providing troops, responsibility would be determined in each and every case according to the degree of effective control exercised by either party in the conduct of the operation’.

Trois types différents de situations, donc. Premier type, celui des FMP: ici la responsabilité internationale pour les activités des contingents nationaux de casques bleus incombe toujours aux N.U., au commandement desquelles ils sont soumis (sans qu’il y ait besoin de prouver le contrôle effectif, comportement par comportement, par l’Organisation). Second type, cas des opérations militaires d’États autorisés par le Conseil de Sécurité dans le cadre du Chapitre VII: ici la responsabilité internationale pour les actes accomplis par les forces armées incombe non pas aux N.U., mais toujours aux États d’appartenance (ici aussi sans besoin de prouver leur contrôle effectif, comportement par comportement). Troisième type: cas des ‘opérations conjointes’, lors desquelles des FMP des N.U. et des forces de support d’États opèrent sur le même terrain: ici – et ici seulement – l’identification du sujet responsable (l’O.N.U.? Tel ou tel État participant à l’opération conjointe?) se ferait sur la base du ‘degree of effective control exercised by either party in the conduct of the operation’. Il convient de souligner que le critère du contrôle effectif sur le comportement spécifique est ainsi envisagé comme à utiliser exclusivement en cas d’opérations conjointes, et non pas pour les situations du premier type (les FMP), dans lesquelles l’attribution aux N.U. des comportements de la FMP agissant sous leur commandement et contrôle ne présuppose pas le ‘contrôle effectif’ sur chaque comportement (supra n 8): la CDI innove, donc, lorsqu’elle suggère que ‘(c)e qui vaut pour les opérations conjointes… vaut également pour les opérations de maintien de la paix’ (UN Doc A/64/10 (2009), p. 68, par. 8; UN Doc A/66/10 (2011), p. 25, par. 9) et propose en conséquence la formule qui deviendra celle de l’Article 7 AROI.

[10] La CDI admet à vrai dire que ‘(b)ien qu’elle ne soit sans doute pas fréquente dans la pratique, la double − voire la multiple − attribution d’un comportement ne saurait être exclue’ (UN Doc A/66/10 (2011), p. 17, par. 4). Toutefois, la CDI ne suggère pas que cela puisse arriver pour les comportements des FMP, et semble même le considérer inenvisageable (alors que le Rapporteur spécial, Giorgio Gaja, avait mentionné explicitement une telle possibilité: UN Doc A/CN.4/610 (2009), p. 11, par. 25). Il est à rappeler par ailleurs que le cas de la double attribution serait de toute façon à distinguer des hypothèses de double (ou multiple) responsabilité lors d’un même fait illicite: la référence à l’Article 48 AROI n’est donc pas pertinente lorsqu’il est question de double attribution.

[11] L Condorelli, ‘Le statut des forces de l.’ONU et le droit international humanitaire’ (1995) 78 Rivista di diritto internazionale  881-906 ; id, ‘Le statut des forces des Nations Unies et le droit international humanitaire’, in C Emmanuelli (ed.), Les casques bleus: policiers ou combatants? (Montréal, Wilson & Lafleur, 1997) 87-113.

[12]Cour d’Appel de La Haye (n 4).

[13] Voir A Nollkaemper, ‘Dual Attribution: Liability of the Netherlands for Conduct of Dutchbat in Srebrenica’, (2011) 9 J Intl Criminal Justice 1143-1157, qui cite à la note 44 les rares auteurs adoptant cette thèse (inter alii, T Dannenbaum, Translating the Standard of Effective Control into a System of Effective Accountability: How Liability Should be Apportioned for Violations of Human Rights by Member State Troop Contingents Serving as United Nations Peacekeepers, (2010) 51 Harvard Intl L J 113.Quant à la CDI, il est vrai qu’elle admet (voir supra n 10) la possibilité de la double attribution, en la définissant cependant comme ‘sans doute peu fréquente dans la pratique’; toutefois, elle semble exclure qu’une telle double attribution puisse se vérifier pour ce qui est des agissements des FMP.

[14] Supra (n 11).

[15] Supra (n 8) (voir spécialement le paragraphe 2, p. 14, du document cité) pour l’admission que le critère du contrôle effectif sur chaque comportement à attribuer, tel que ‘proposé (sic) par la Commission’ ne correspond pas à la pratique de l’O.N.U.: au contraire, le principe dont cette pratique s’inspire est que tous les agissements des forces de maintien de la paix sous commandement onusien sont imputables aux N.U. et en engagent la responsabilité internationale.

[16]Supra (n 8).

[17]UN Doc A/CN.4/637/Add.1(2011), p. 15, par. 6. Que cela soit dit en passant, on comprend mal à quoi le principe de l’Article 7 AROI relatif au ‘contrôle effectif sur le comportement spécifique’ pourrait (voire pourra) bien servir, s’agissant de l’attribution aux N.U. des agissements des FMP, si l’on exclut qu’il y ait à remettre en cause une pratique établie refusant justement de prendre en compte le critère du contrôle effectif. Sauf à vouloir offrir à l’Organisation le loisir de se décharger de ses responsabilités, face à des comportements illicites de FMP, sous prétexte de ne pas avoir pu contrôler effectivement ces comportements.

[18] Supra (n 11).

[19]Sauf exceptions qui pourraient, soit être prévues par des accords internationaux, soit dépendre d’une éventuelle renonciation aux bénéfices de l’immunité.

[20] Supra (n 7).

[21] Bien entendu, autre est le cas déjà évoqué en passant (supra n 9) des opérations militaires d’États agissant sur autorisation du Conseil de Sécurité dans le cadre du Chapitre VII: ici la responsabilité internationale pour les actes accomplis par les forces armées incombe non pas aux N.U., mais toujours aux États d’appartenance, auxquels exclusivement les actes en question sont imputables.