1. Introduction

Le dernier rebondissement de la saga Julian Assange a été communiqué au grand public par la voie des médias le 5 février 2016. Dans son avis no 54/2015 adopté à sa 74ème session (30 novembre – 4 décembre 2015),[1] le Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’Homme a pris position sur la situation du fondateur de Wikileaks, déclarant qu’elle constituait une privation arbitraire de liberté.
Le Groupe de travail sur la détention arbitraire est un organe non conventionnel créé par la Commission des droits de l’Homme en 1991.[2] Il a notamment pour missions d’enquêter sur les cas de détentions arbitraires imposées d’une manière incompatible avec les dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) ou avec d’autres instruments de droit international pertinents reconnus par les Etats concernés, de quérir ou recueillir des informations auprès de gouvernements et d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales, de recevoir des informations émanant des particuliers, de leur famille, de leurs représentants ou d’organisations non gouvernementales. Le mandat du Groupe de travail a été précisé et renouvelé par la Commission dans sa résolution 1997/50,[3] assumé par le Conseil des droits de l’homme dans sa décision 1/102,[4] prolongé d’une période de trois ans par la résolution 15/18 du Conseil du 30 septembre 2010, puis de trois ans encore par la résolution 24/7 du Conseil du 26 septembre 2013. Composé de cinq experts indépendants, le Groupe de travail a la particularité de pouvoir recevoir et examiner des communications individuelles.
En l’occurrence, ce Groupe de travail a été saisi d’une communication adressée aux gouvernements suédois et britannique le 16 septembre 2014, portant sur la situation de Julian Assange. La communication allègue que ce dernier fait l’objet d’une détention arbitraire, en raison des contraintes imposées par le Royaume-Uni et la Suède depuis le 7 décembre 2010, période recouvrant les 10 jours d’isolement à la prison de Wandsworth, les 550 jours d’assignation à résidence et l’intégralité de son confinement dans l’ambassade équatorienne au Royaume-Uni d’août 2012 à aujourd’hui.[5] L’avis du Groupe de travail donne raison à la communication, déclarant que l’ensemble de ces mesures[6] constitue une privation arbitraire de liberté résultant des actions du Royaume-Uni et de la Suède, contraire à plusieurs dispositions de la DUDH et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). L’opinion dissidente de l’un des experts indépendants, Vladimir Tochilovsky, est annexée à l’avis.
Le Royaume-Uni et la Suède ont immédiatement manifesté leur mécontentement suite à la publication de l’avis, critiquant le raisonnement adopté par le Groupe de travail.[7] Par ailleurs, l’avis a été accueilli avec frilosité par une partie de la doctrine internationaliste et par la presse.[8] En effet, la qualification des mesures prises à l’encontre de Julian Assange et de son confinement dans l’ambassade équatorienne en une privation arbitraire de liberté résulte d’une interprétation extensible des instruments internationaux mentionnés et va à contre-courant de la pratique dense du Groupe de travail (section 2). Compte tenu de l’annonce par la Suède et par le Royaume-Uni de leur refus de se conformer à l’avis, il n’était sans doute pas opportun de créer une telle rupture dans la pratique de cet organe, en détournant de son objectif la notion de privation arbitraire de liberté (section 3).

2. L’identification par le Groupe de travail d’une privation arbitraire de liberté

La principale allégation contenue dans la communication soumise au Groupe de travail repose sur l’idée selon laquelle Julian Assange serait en fait détenu depuis 2010, sa présence dans l’ambassade équatorienne ne constituant que le prolongement d’une situation établie en décembre 2010. Le Groupe de travail a donc été amené à étudier ces différents évènements pour construire son avis.
Il convient de rappeler qu’alors qu’il se trouvait au Royaume-Uni, Julian Assange a fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis par les autorités suédoises suite à des plaintes pour viol et agression sexuelle déposées par deux femmes suédoises en août 2010. Sur la base de ces accusations, le tribunal de district de Stockholm et un Procureur suédois avaient décidé, le 18 octobre 2010, d’ordonner sa mise en détention in absentia, décision confirmée par la Cour d’appel de Svea le 24 novembre 2010. C’est pour faire exécuter ces mesures que le mandat d’arrêt a été délivré. Julian Assange a tenté de contester ce dernier devant les juridictions britanniques mais la City of Westminster Magistrates’ Court a confirmé en février 2011 qu’il devait être remis à la Suède, décision réitérée par la High Court le 2 novembre 2011 puis par la Supreme Court le 30 mai 2012. Par conséquent, M. Assange a été arrêté et détenu entre le 7 et le 16 décembre 2010, avant de faire l’objet d’une mesure d’assignation à résidence. C’est donc après que trois juridictions britanniques ont confirmé la validité du mandat d’arrêt européen que Julian Assange a décidé de trouver refuge au sein de l’ambassade équatorienne, le 19 juin 2012, alors qu’il était encore assigné à résidence. La République équatorienne lui a officiellement donné asile le 16 août 2012. Par la suite, Julian Assange a contesté la mise en détention in absentia par une requête présentée le 24 juin 2014 devant le Tribunal de district de Stockholm, lequel a confirmé le maintien en détention in absentia dans une décision du 16 juillet 2014. Force est de constater la célérité avec laquelle les différentes procédures ont été déclenchées, la communication destinée au Groupe de travail ayant été soumise le 16 septembre 2014, soit trois mois après la décision de rejet de la juridiction suédoise.
Le Groupe de travail devait, à la lumière de ces éléments, faire application de sa grille de lecture sur la privation arbitraire de liberté. Conformément à ses Méthodes de travail,[9] cinq hypothèses sont envisagées: l’absence de fondement légal justifiant la privation de liberté (catégorie I); la non-conformité aux dispositions de la DUDH ou du PIDCP (pour les Etats parties à ce dernier) (catégorie II); l’inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès équitable d’une gravité telle qu’elle rend la privation de liberté arbitraire (catégorie III); la rétention administrative prolongée de demandeurs d’asile, immigrants ou réfugiés sans possibilité de contrôle, de recours administratif ou juridictionnel (catégorie IV); les cas où la privation constitue une violation du droit international pour des raisons de discrimination (catégorie V). Alors que la communication alléguait que Julian Assange pouvait se prévaloir des catégories I à IV,[10] le Groupe de travail n’a retenu que la catégorie III, décrite en ces termes dans ses Méthodes de travail:

‘Lorsque l’inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès équitable, établies dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments internationaux pertinents acceptés par les Etats intéressés, est d’une gravité telle qu’elle rend la privation de liberté arbitraire (catégorie III)’.

Prenant en compte la période s’étalant du 7 décembre 2010 jusqu’au jour de la production de l’avis, le raisonnement mené par le Groupe de travail l’a amené à déterminer que:

‘The deprivation of liberty of Mr. Assange is arbitrary and in contravention of articles 9 and 10 of the Universal Declaration of Human Rights and articles 7, 9(1), 9(3), 9(4), 10 and 14 of the International Covenant on Civil and Political Rights. It falls within category III of the categories applicable to the consideration of the cases submitted to the Working Group’.

Deux éléments du raisonnement du Groupe de travail peuvent apparaître singuliers: le premier élément est relatif aux deux premières périodes de détention alléguées (la prison et l’assignation à résidence) (2.1); le deuxième à la présence de Julian Assange dans l’ambassade équatorienne (2.2).

 

2.1. L’analyse du respect des droits procéduraux de Julian Assange durant les deux premières périodes de détention

Reprenant les allégations présentées dans la communication, le Groupe de travail estime que Julian Assange n’a pas bénéficié des garanties procédurales protégées par les dispositions de la DUDH et du PIDCP. Le Groupe de travail note d’ailleurs que les gouvernements suédois et britannique ne contestent pas la réalité des deux premières formes de détention dans leurs communications. En prenant acte, il dénonce plus précisément l’impossibilité pour Julian Assange de bénéficier de protection et d’assistance juridiques durant sa détention initiale à la prison de Wandsworth et les conditions drastiques auxquelles il a été soumis pendant son assignation à résidence.[11] Pour le Groupe de travail, deux éléments posent problème à ce stade: non seulement ces détentions ont pour seul fondement le mandat d’arrêt européen, mais en plus la procédure suédoise n’en est qu’au stade de l’enquête préliminaire. Selon l’avis, cela impliquerait que Julian Assange a fait l’objet de différentes formes de détention alors même qu’il n’a jamais été formellement accusé par les autorités suédoises à ce jour.[12] Or, compte tenu des règles de la présomption d’innocence qu’il identifie dans le droit national britannique et dans le droit international, le Groupe de travail estime que de telles mesures sont disproportionnées faute d’acte formel d’accusation.[13] En outre, Julian Assange n’aurait disposé ni d’un accès adéquat aux éléments de l’enquête qui le vise, en violation de l’article 14 du PIDCP, ni de la possibilité de connaître la date à laquelle la procédure est susceptible de débuter, ce qui contribuerait à confirmer le non-respect des droits procéduraux qui lui sont garantis:

‘[…] The factual elements and the totality of the circumstances that have led to this conclusion include the followings: (1) Mr. Assange has been denied the opportunity to provide a statement, which is a fundamental aspect of the audi alteram partem principle, the access to exculpatory evidence, and thus the opportunity to defend himself against the allegations; (2) the duration of such detention is ipso facto incompatible with the presumption of innocence. Mr. Assange has been denied the right to contest the continued necessity and proportionality of the arrest warrant in light of the length of this detention, i.e. his confinement in the Ecuadorian Embassy […]’.[14]

Par conséquent, s’appuyant aussi bien sur la définition stricte contenue dans sa Délibération n 9 que sur celle fournie par le Comité des droits de l’Homme dans son Observation générale n 35,[15] le Groupe de travail estime que, dans leur ensemble, les mesures adoptées constituent une privation arbitraire de liberté. On note par ailleurs que, conformément à sa pratique, le Groupe de travail ne s’attache pas outre mesure à distinguer entre ‘détention’ et ‘privation de liberté’, estimant que le caractère arbitraire mérite d’être analysé en priorité.[16] En l’occurrence, ce dernier résulterait de l’absence de nécessité, de proportionnalité et de caractère raisonnable des mesures adoptées par les autorités britanniques à l’encontre de Julian Assange. En d’autres termes, le Groupe de travail semble avoir cherché davantage à identifier des mesures arbitraires qu’à identifier une détention ou une privation de liberté.
On peut néanmoins regretter que le Groupe de travail n’ait pas approfondi son raisonnement sur le champ d’application de la notion de privation de liberté. Cette défaillance est d’autant plus singulière que l’avis mentionne, par exemple, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH) pour enrichir son appréciation de la proportionnalité des mesures restrictives visées.[17] Toutefois, le Groupe de travail semble privilégier une application sélective de la jurisprudence, occultant certains critères retenus par la Cour pour qualifier une privation arbitraire de liberté. A ce titre, et pour pousser le parallèle jusqu’au bout, il eut été pertinent d’analyser l’application que fait la CourEDH de l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme.[18]
Certes, la CourEDH admet l’existence d’une privation arbitraire de liberté au sens de l’article 5 dans des circonstances d’intensité variable englobant aussi bien une détention stricto sensu que des restrictions graves à la liberté de circulation telles qu’une assignation à résidence.[19] L’article 5 peut ainsi trouver à s’appliquer dès lors que la situation concrète du requérant, le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée sont convenablement analysés afin d’identifier une atteinte à la liberté de l’individu.[20] En l’occurrence toutefois, la détention à Wandsworth mise à part, les conditions d’assignation à résidence n’étaient pas si restrictives que ne le laisse penser l’avis. Julian Assange a réussi à trouver refuge à l’ambassade équatorienne alors, précisément, qu’il faisait l’objet d’une mesure d’assignation à résidence. Toujours est-il que, même en admettant que la détention puis l’assignation à résidence constituent effectivement une privation de liberté (cela n’est contesté ni par la Suède, ni par le Royaume-Uni dans leurs observations), son caractère arbitraire demeure discutable, les mesures adoptées par les autorités britanniques ayant justement fait l’objet de contestations devant trois degrés de juridiction.

 

2.2. La qualification du refuge dans l’ambassade en tant que prolongement de la privation arbitraire de liberté

Plus problématique est le raisonnement du Groupe de travail à l’égard de la troisième période de détention alléguée de Julian Assange, à savoir son confinement dans l’ambassade équatorienne d’août 2012 à ce jour. En effet, le Groupe de travail considère que le choix de Julian Assange de s’y réfugier constitue le prolongement de la détention à la prison de Wandsworth et de l’assignation à résidence dont il a fait l’objet.[21] Ce faisant, il semble qualifier ce confinement d’élément de la privation arbitraire de liberté, dans la mesure où il affirme au paragraph 100 de son avis que:

‘Consequent upon the opinion rendered, the Working Group requests the Government of Sweden and the Government of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland to assess the situation of Mr. Assange, to ensure his safety and physical integrity, to facilitate the exercise of his right to freedom of movement in an expedient manner […]’.

Dès lors que le Groupe de travail requiert que sa liberté de mouvement lui soit rendue, ou plus précisément facilitée, la présence de Julian Assange dans l’ambassade constituerait une atteinte à ses droits consacrés par la DUDH et le PIDCP. L’avis souligne que, confiné dans l’ambassade pour une durée indéfinie, Julian Assange ne serait pas en mesure de se défendre contre les accusations dont il fait l’objet, subirait une détention disproportionnée incompatible avec la présomption d’innocence, ferait l’objet d’une surveillance intrusive et serait soumis à des conditions de vie insuffisantes susceptibles d’affecter son état de santé, faute notamment de pouvoir se faire soigner de manière adéquate.[22] Le Groupe de travail relève d’ailleurs que la Suède et le Royaume-Uni ont refusé de reconnaître l’asile accordé par la République équatorienne (sans oser dénoncer formellement ce refus).[23] Ce raisonnement a toutefois l’inconvénient, à la fois, de ne pas tenir compte du comportement de Julian Assange et de dénaturer la notion de privation arbitraire de liberté telle qu’elle a été développée par le Groupe de travail lui-même.

Rappelons d’abord que c’est volontairement que Julian Assange s’est rendu puis réfugié dans l’ambassade équatorienne, dérogeant alors à l’assignation à résidence dont il faisait l’objet. Comme le souligne avec justesse l’opinion dissidente de Vladimir Tochilovksy, il peut paraître inadéquat de qualifier son confinement dans l’ambassade de sanction arbitraire: Julian Assange s’y est précisément réfugié pour échapper à la sanction qui semblait être devenue inévitable, compte tenu de l’épuisement de toutes les voies de recours au Royaume-Uni. Anticipant cet aspect, la communication allègue naturellement que sa présence dans l’ambassade n’est pas volontaire,[24] et s’appuie sur le risque auquel il s’exposerait s’il venait à quitter son enceinte:

‘An individual cannot be compelled to renounce an inalienable right, nor can they be required to expose themselves to the risk of significant harm. Mr. Assange’s exit from the Ecuadorian Embassy would require him to renounce his right to asylum and expose himself to the very persecution and risk of physical and mental mistreatment that his grant of asylum was intended to address. His continued presence in the Embassy cannot, therefore, be characterised as “volitional”.’

Cette allégation repose aussi bien sur le risque d’une remise en détention par les autorités britanniques que sur celui d’une extradition vers la Suède, qui pourrait donner lieu in fine à une extradition, redoutée par Julian Assange, vers les Etats-Unis.[25] Si ce risque, non avéré, demeure ‘sérieux’ selon la communication, il ne justifie sans doute pas la qualification de privation arbitraire de liberté. En effet, le choix par Julian Assange d’utiliser l’ambassade équatorienne comme refuge ne permet pas d’envisager l’hypothèse d’un ‘placement’ en détention ou même d’une restriction imposée par des autorités identifiées à la liberté de mouvement de l’individu.
L’avis lui-même le démontre: le Groupe de travail y fait référence à sa Délibération n 9 sur la définition et le champ d’application de la privation arbitraire de liberté dans le droit international coutumier.[26] Dans cette délibération, le Groupe de travail considère que l’interdiction de toute forme de privation arbitraire de liberté fait partie intégrante du droit international coutumier et constitue une norme impérative.[27] Or, le présent avis mentionne plus précisément le paragraphe 59 de la Délibération no 9, lequel rappelle que, selon le Groupe de travail:

Placing individuals in temporary custody in stations, ports and airports or any other facilities where they remain under constant surveillance may not only amount to restrictions to personal freedom of movement, but also constitute a de facto deprivation of liberty’.[28]

C’est le premier terme, ‘placing’, qui semble constituer un obstacle dans la mesure où il suppose une action d’une autorité visant à ‘placer’ un individu dans une situation de privation de liberté. La lecture de la Délibération n 9 permet de constater que les textes ayant guidé le Groupe de travail mentionnent, pour la détention, le ‘act of confining […] under restraints’, pour l’arrestation, le ‘act of taking a person into custody’, etc. Même une privation de liberté de facto, telle que mentionnée dans le paragraphe 59 de la Délibération n 9, semble supposer une action positive de l’autorité visant à confiner l’individu. La pratique du Groupe de travail est riche de ces situations de contrainte exercée par les autorités d’un Etat: elles exigent alternativement ou cumulativement, une assignation à résidence formalisée par la présence de gardes ou gardiens (relevant des forces de l’ordre ou non) à l’entrée,[29] le blocage des communications vers ou depuis l’extérieur,[30] l’interdiction des visites,[31] l’impossibilité pour l’individu de quitter un lieu donné,[32] le recours à la violence pour l’empêcher de quitter les lieux ou l’intimider,[33] etc. Or, si la détention de Julian Assange à Wandsworth puis son assignation à résidence restent soumises à discussion – quoique dans la mesure où elles sont désormais terminées, elles ne relèvent plus de la compétence du Groupe de travail –, il est difficile de considérer qu’il a été l’objet de contraintes de ce type. Cela semble d’ailleurs être confirmé par l’opinion dissidente de Vladimir Tochilovksy. Celui-ci rappelle que le fait pour Julian Assange de pouvoir quitter l’ambassade le place dans une situation qui ne relève pas de la compétence du Groupe de travail:

‘In regard to the house arrest of Mr. Assange in 2011-2012, it was previously emphasised by the Working Group that where the person is allowed to leave the residence (as in Mr. Assange’s case), it is “a form of restriction of liberty rather than deprivation of liberty, measure which would then lie outside the Group’s competence” (E/CN.4/1998/44, para 41(e)). Mr. Assange was allowed to leave the mansion where he was supposed to reside while litigating against extradition in the courts of the United Kingdom. As soon as his last application was dismissed by the Supreme Court in June 2012, Mr. Assange fled the bail.’

La communication avait pourtant envisagé que le confinement volontaire puisse constituer une forme de privation arbitraire de liberté, dès lors que l’individu s’expose au risque d’une violation de ses droits fondamentaux en cas de sortie.[34] Apporter une réponse à cet argument aurait été l’occasion pour le Groupe de travail de (tenter de) justifier une nouvelle approche en la matière. Toutefois, il s’en abstient manifestement dans son avis, manquant ainsi de fonder juridiquement la qualification qu’il opère à l’égard de la situation de Julian Assange.

 

3. L’établissement par le Groupe de travail d’une compétence arbitraire ?

Ainsi, l’argument du Groupe selon lequel une approche casuistique, tenant compte des circonstances particulières de l’affaire, doit être privilégiée, peine à convaincre.[35] La compétence même de cet organe à l’égard de cette affaire est discutable. En effet, le Groupe de travail a traité la communication soumise par les représentants de Julian Assange en s’appuyant, pour établir sa compétence, sur le fait que sa présence à l’ambassade constituerait un prolongement de la détention initiée en 2010. Qualifier cette période de prolongement de la détention permettait ainsi de dénoncer le non-respect des garanties procédurales conférées par le droit international, en le liant à une supposée privation de liberté.
Or, dès lors que le confinement volontaire de Julian Assange n’est pas considéré comme un prolongement, mais plus volontiers, comme un moyen pour lui de mettre un terme à sa détention (en fuyant son assignation à résidence), l’analyse du Groupe de travail apparaît dévoyée et sa compétence, établie à tort. Comme l’a montré sa pratique, le Groupe de travail n’est compétent que pour autant que la situation qui est susceptible d’être qualifiée de privation arbitraire de liberté est en cours au moment où il statue,[36] ce qu’il manque de démontrer ici. D’ailleurs, dans le cas récent du militant chinois Chen Guangcheng, qui s’est réfugié en 2012 dans l’ambassade des Etats-Unis à Pékin pour échapper aux autorités chinoises, il est utile de souligner que le Groupe de travail a eu l’occasion de se prononcer sur l’existence d’une privation arbitraire de liberté. Toutefois, l’avis était antérieur au refuge de M. Guangcheng au sein de l’ambassade, ce qui exclut qu’il puisse ici faire office de précédent.[37]
Si les avocats de Julian Assange se sont estimés confiants à la suite de la publication de l’avis,[38] la Suède et le Royaume-Uni l’ont clairement rejeté et ont affirmé leur refus de se conformer à son contenu, considérant, pour le premier qu’il s’agissait d’une interférence dans une affaire en cours faisant déjà l’objet d’un traitement par la justice; pour le deuxième, que l’avis ne changerait rien à la situation.[39] Dans les deux cas, la qualification opérée par le Groupe de travail a été critiquée, voire considérée comme ‘ridicule’,[40] de sorte que la crédibilité du mécanisme lui-même semble aujourd’hui affaiblie. Il est alors difficile de ne pas adhérer à l’opinion dissidente de Vladimir Tochilovsky qui, loin de remettre en question l’opportunité pour Julian Assange de mener des procédures pour recouvrer sa liberté de mouvement, estime qu’il l’a fait dans une enceinte inadéquate.[41]

[1] UN Doc A/HRC/WGAD/2015/54 (22 janvier 2016).

[2] UN Doc E/CN.4/RES/1991/42 (5 mars 1991) 47ème session.

[3] UN Doc E/CN.4/1997/50 (15 avril 1997) 64ème séance.

[4] UN Doc A/HRC/DEC/2006/102 (6 octobre 2006) 29ème séance.

[5] UN Doc A/HRC/WGAD/2015/54 (n 1) par 5.

[6] ibid par 89.

[7] BBC News, ‘Julian Assange Decision by UN Panel is Ridiculous, says Hammond’ (5 février 2016) <www.bbc.com/news/uk-35504237>.

[8] Voir notamment M Happold, ‘Julian Assange and the UN Working Group on Arbitrary Detention’ EJIL: Talk! (5 février 2016) <www.ejiltalk.org/julian-assange-and-the-un-working-group-on-arbitrary-detention/>.

[9] ‘Méthodes de travail du Groupe de travail sur la détention arbitraire’ UN Doc A/HRC/30/69 (4 août 2015) 30ème session.

[10] UN Doc A/HRC/WGAD/2015/54 (n 1) par 15: ‘Sweden is obliged by applicable law and Convention obligations to recognise the asylum granted to Mr. Assange, and no exceptions apply (Categories II and IV)’; par 16: ‘The disproportionate nature of the actions taken by the Swedish prosecutor, including the insistence upon the issuing of a European Arrest Warrant rather than pursuing questions with Mr. Assange in the United Kingdom as provided for by mutual assistance protocols (Categories I and III)’.

[11] ibid par 86-87: ‘monitoring using an electric tag, an obligation to report to the police every day and a bar on being outside of his place of residence at night’.

[12] ibid par 93.

[13] Le Groupe de travail s’appuie sur la jurisprudence britannique pour définir la proportionnalité, UN Doc A/HRC/WGAD/2015/54 (n 1) par 96.

[14] ibid par 98.

[15] ‘The notion of “arbitrary” stricto sensu includes both the requirement that a particular form of deprivation of liberty is taken in accordance with the applicable law and procedure and that it is proportional to the aim sought, reasonable and necessary (ibid para 61)’; ‘An arrest or detention may be authorized by domestic law and nonetheless be arbitrary. The notion of “arbitrariness” is not to be equated with “against law”, but must be interpreted more broadly to include elements of inappropriateness, injustice, lack of predictability and due process of law, as well as elements of reasonableness, necessity, and proportionality”’.

[16] ‘Rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire’, Délibération no 9 sur la définition et le champ d’application de la privation arbitraire de liberté dans le droit international coutumier, UN Doc A/HRC/22/44 (24 décembre 2012) par 56-58: ‘Le Groupe de travail a toujours retenu la position suivante: “dans l’expression ‘détention arbitraire’, ce qui importait à la Commission [des droits de l’homme] était fondamentalement le mot ‘arbitraire’, c’est-à-dire l’élimination, sous toutes ses formes, de l’arbitraire, quelle que soit la phase de privation de liberté concernée”’.

[17] Est mentionnée l’affaire James et a. c Royaume-Uni, no 8793/79 (CourEDH, 21 février 1986). Le Groupe de travail avait déjà établi que ‘l’interdiction de la privation arbitraire de liberté est reconnue dans tous les principaux instruments internationaux et régionaux relatifs à la promotion et la protection des droits de l’homme […]’: ‘Rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire’ (n 16) par 42.

[18] Art 5(1): ‘Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales […]’.

[19] Guzzardi c Italie n 7367/76 (CourEDH, 6 novembre 1980); Rantsev c Chypre et Russie no 25965/04 (CourEDH, 7 janvier 2010). Sur les assignations à résidence: Mancini c Italie no 44955/98 (CourEDH, 2 août 2001); Lavents c Lettonie no 58442/00 (CourEDH, 28 novembre 2002).

[20] Guzzardi (n 19). Pour une discussion, L Lazarus, ‘The United Nations Working Group on Arbitrary Detention decision on Assange: ‘ridiculous’ or ‘justifiable’?’ EJIL: Talk! (9 février 2016) <www.ejiltalk.org/the-united-nations-working-group-on-arbitrary-detention-decision-on-assange-ridiculous-or-justifiable/>.

[21] UN Doc A/HRC/WGAD/2015/54 (n 1) par 98: ‘The Working Group is convinced once again that, among others, the current situation of Mr. Assange staying within the confines of the Embassy of the Republic of Ecuador in London, United Kingdom, has become a state of an arbitrary deprivation of liberty’.

[22] ibid par 98, en réponse aux allégations de la Communication, par 14 à 21.

[23] La question du respect par l’Equateur de ses obligations internationales n’est pas traitée par le Groupe de travail. Voir sur le sujet M Lemey, ‘L’affaire Julian Assange: controverses juridiques relatives à l’asile diplomatique’ (2015) Journal du droit international 1, 77-100.

[24] UN Doc A/HRC/WGAD/2015/54 (n 1) par 12.

[25] Voir notamment ibid par 15-17.

[26] Délibération no 9 (n 16).

[27] ibid par 75.

[28] UN Doc A/HRC/WGAD/2015/54 (n 1) par 91, citant le par 59 de la Délibération no 9 (n 16).

[29] Voir par exemple l’avis no 30/2012 Hossein Mossavi et al. v Islamic Republic of Iran (26 novembre 2012).

[30] Voir par exemple l’avis no 16/2011 Liu Xia v China (27 février 2012): ‘Liu Xia has been prevented from communicating with the outside world on the telephone or via the Internet […]’.

[31] ibid: ‘The Chinese authorities have prevented foreign diplomats from meeting Liu Xia’; aussi avis no 18/2005  Thich Quang Do v Viet Nam (26 mai 2005).

[32] Voir globalement les avis no 8/1992, 2/2002, 9/2004, 2/2007, 46/2008, Ms. Aung San Suu Kyi v Myanmar. Voir aussi la Délibération n° 1, UN Doc E/CN.4/1993/24 (12 janvier 1993).

[33] Voir l’avis no 47/2006, Chen Guangcheng v People’s Republic of China (24 novembre 2006): Chen Guangcheng a fait l’objet d’une série de mesures de privation de liberté.

[34] UN Doc A/HRC/WGAD/2015/54 (n 1) par 11: ‘The source highlights that the Working Group on Arbitrary Detention had agreed in previous cases that a deprivation of liberty exists where someone is forced to choose between either being confined, or being forfeited a fundamental right – such as asylum – and thereby facing a well-founded risk of persecution. In its view, the European Court of Human Rights and the United Nations High Commissioner of Refugees similarly adhere to this principle’.

[35] Délibération no 1 (n 32).

[36] Cela a amené le Groupe de travail à mettre un terme à ses procédures dans plusieurs affaires.

[37] Avis no 47/2006 Chen Guangcheng v People’s Republic of China (24 novembre 2006).

[38] Le Parisien (5 février 2016) ‘Assange crie “victoire” au balcon de l’ambassade d’Equateur à Londres’ <www.leparisien.fr/international/avis-de-l-onu-assange-crie-victoire-au-balcon-de-l-ambassade-d-equateur-a-londres-05-02-2016-5518305.php>.

[39] Le Figaro, ‘Assange: Londres “rejette” la décision de l’ONU’ (5 février 2016) <www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/02/05/97001-20160205FILWWW00080-assange-londres-rejette-la-decision-de-l-onu.php>.

[40] J Rozenberg, ‘How did the UN get it so wrong on Julian Assange?’, The Guardian (5 février 2016) <www.theguardian.com/commentisfree/2016/feb/05/un-julian-assange-wikileaks>.

[41] Opinion dissidente de Vladimir Tochilovsky.